jeudi 6 novembre 2008
ARTICLE SUR AURELIEN RICHARD, IN "DANSER"
Bonnes notes
Musicien pour la danse, Aurélien Richard a collaboré avec des chorégraphes comme David Wampach ou son propre frère Alban, avec Forsythe et Kylian à l’Opéra de Paris et avec Maurice Béjart. Il est aussi directeur artistique d’un collectif d’artistes, les Désinents.
Non, Aurélien Richard ne vient pas d’entrer dans la danse. Repéré récemment au côté de David Wampach dans Auto, habitant l’espace avec son piano à l’instar des performances de Joseph Beuys. Il n’est pas non plus parachuté par son frère Alban, avec lequel il a certes collaboré sur Blood Roses, Häftling, A tribute to B. Né à Brest, il ressent le désir de piano dès qu’il sait parler. « J’étais programmé pour la virtuosité, j’étais un bouffeur de partitions ». Dès la quatrième, c’est une vie de solitude : le CNED, les conservatoires, puis, dès quatorze ans, les concerts et même un poste de professeur d’accompagnement à l’ENM du Havre !
Cet adolescent vit éloigné du rock de ses congénères, se nourrit de Messiaen, de Poulenc, de Berg, et réduit dans sa chambre des partitions d’orchestre pour piano. Le choc, c’est-à-dire ce qui va le sortir de sa tour d’ivoire, c’est le premier contrat d’Alban avec Karine Saporta, c’est le Spectre en 1995 au Théâtre de la Ville. Chopin, le romantisme, mais aussi et surtout la grâce de la danse.
Trois ans plus tard, il quitte le Havre pour Paris et passe une audition pour être chef de chant à la section danse de l’Opéra. IL est pris, Brigitte Lefèvre l’oriente alors, en tant que sang neuf, vers les créations contemporaines. « C’est ainsi que j’ai travaillé avec Forsythe sur In the Middle…, Pas/parts, Wound Work ; Kylian ensuite, pour Doux mensonges avec William Christie, j’ai coaché danseurs et musiciens dans la même musicalité du corps. » C’est que pour Aurélien, « un corps qui vit et qui chante, c’est une vibration dans l’espace. » Ainsi, pour lui, la dérive d’un musicien qui donne un récital, le risque permanent, c’est de ne pas être touché par les différences corporellement parlant. Car Beethoven exulte le corps, Bach est plus psychique par exemple. Un pianiste doit être sensible aux énergies.
Par rapport à la danse, un musicien ou un DJ doit se poser la question de sa légitimité sur le plateau, et songer à projeter dans l’espace sonore son corps d’interprète. La danse procure à Aurélien un rythme de travail qui lui convient, « entre solitude et plateau, je navigue ». En effet, un musicien sans la danse vit « un sacerdoce avec son instrument ». La danse lui permet de s’ouvrir aux autres, sans jamais composer avant d’avoir capté le mouvement, rencontré les danseurs. « Je me plie à mon corps donc je me plie aux corps des autres. Tout doit s’imbriquer ; il est vrai que dans mon travail sur la Neuvième Symphonie avec Béjart, c’était a priori, différent de ma fonction de metteur en scène avec mon ensemble les Désinents. Mais même là, j’ai entendu donner des clefs de compréhension de la musique aux danseurs ». Il voit en effet la musique comme un élément de la danse, quitte à faire chanter les danseurs comme dans Häftling. Ou quitte à évoluer lui-même avec ses compétences de pianiste, de compositeur, de metteur en scène, réquisitionnées toutes par David Wampach dans Auto. « Cette pièce peut encore changer, tout s’y est élaboré pendant le processus de création. Cela étant, ce lâcher prise n’est pas un laisser aller. David ne parle pas de lui en tant qu’individu, mais à travers le prisme de quelque chose d’universel et de construit. Avec Raphaëlle Delaunay avec qui je vais collaborer, l’enjeu sera de dépasser la virtuosité pour laquelle nous étions tous deux programmés, mais sans outrance. »
Oui, Aurélien tient à la partition. Elle a beau changer parfois tous les jours en atelier, elle constitue le nœud du challenge. Ainsi, à l’instar de la colombe de Kant qui est d’autant plus libre qu’elle obéit à des lois, la contrainte est pour ce musicien qui danse le prix de la liberté.
Bérengère ALFORT in Danser, novembre 2008
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